Communications laser satellites-sol : de l’expérimentation à la commercialisation
Comme nous l’avons vu dans le dernier article de cette série, la radiofréquence ne pourra bientôt plus répondre aux besoins croissants des communications spatiales, et les technologiques optiques vont avoir un rôle majeur à jouer dans ce domaine.
Le formidable potentiel qu’offrent les communications optiques en espace libre, aussi bien en termes de débit que de sécurité, a certes de quoi séduire, mais la mise en œuvre de cette technologie repose sur un point essentiel : l’infrastructure de réception au sol.
En effet, un débit multiplié par cent ne présente guère d’intérêt si les données ne peuvent pas être correctement réceptionnées sur Terre. Bien évidemment, des expérimentations ont déjà permis de valider la faisabilité des liaisons laser entre l’espace et la terre.
Rappel historique
Le potentiel de la lumière comme vecteur d’informations dans les réseaux fibrés sur terre ayant été identifié, des expérimentations permettant de redescendre de l’information depuis des satellites vers la terre à l’aide d’un laser ont eu lieu depuis les années 90.
En 1995, le satellite géostationnaire ETS-VI de la JAXA (Japan Aerospace Exploration Agency – l’agence spatiale japonaise) a réussi à établir pour la première fois une liaison descendante vers la Terre avec la station sol optique (ou OGS, Optical Ground Station) du National Institute of Information and Communications Technology (NICT) située à Tokyo. L’objectif de la mission ETS-VI était de mettre au point la plateforme satellitaire répondant aux besoins de l’époque en matière de services de communication et de diffusion par satellite relayés par radiofréquence.
En parallèle, le satellite embarquait une charge utile expérimentale destinée à développer les technologies de communication par satellite du futur (c’est à dire les communications optiques en espace libre). La liaison a permis d’établir une communication avec un débit de 1 Mbit/s. Ce débit était certes inférieur à celui de la technologie existante, la radiofréquence, et au potentiel offert par les communications optiques en espace libre, mais il a permis de valider le concept et de démontrer la faisabilité des communications laser entre l’espace et la Terre.
Nouvel espace, nouveaux tests
Parallèlement à l’évolution spectaculaire suivie par l’industrie spatiale au cours des dernières années (voir le premier article de cette série : « New Space » : le nouveau visage du secteur spatial), les expérimentations sur les liaisons optiques entre l’espace et la Terre ont considérablement évolué, notamment avec la multiplication des essais de liaisons avec des orbites basses.
Par exemple, Sony CSL (Computer Science Laboratories) et Kongsberg Satellite Services (KSAT) ont récemment fait la démonstration d’une liaison optique descendante entre la Station spatiale internationale (ISS) et la station sol optique KSAT située en Grèce. La liaison a été établie depuis l’ISS grâce à un petit terminal de communication optique nommé SOLISS, développé par Sony CSL et l’Agence japonaise d’exploration aérospatiale (JAXA).
Une autre conséquence de l’éclosion du New Space: la liaison optique est désormais émise depuis un satellite de petite taille, comme celui utilisé pour la mission PIXL-1. Cette mission est un démonstrateur technologique visant à tester une charge utile de communication optique développée par le Centre aérospatial allemand (DLR) et TESAT pour être intégrée dans un CubeSat 3U. L’objectif de la mission est de capturer des images haute résolution depuis l’espace et de les transférer vers la Terre. Pour cela, le satellite pourra pointer vers l’OGS transportable (TOGS) du DLR près d’Oberpfaffenhofen, en Allemagne, et sera associé au réseau Nucleus.
La nature même de ces missions fait émerger différents défis techniques. Tout d’abord, un satellite en orbite basse n’est, par définition, pas géostationnaire. Il traverse le ciel à grande vitesse et n’est visible d’un point au sol que quelques dizaines de minutes au maximum. Ces missions sont donc bien plus complexes qu’avec un système géostationnaire, car la station sol et le satellite doivent se suivre et se pointer dynamiquement avec une grande précision.
De plus, dans ce type de communication entre un satellite et le sol, la liaison optique est perturbée par des turbulences atmosphériques qui peuvent dégrader la qualité du signal. Pour corriger ce phénomène, différentes solutions techniques doivent être mises en place. Quoi qu’il en soit, toutes ces expérimentations montrent que les barrières sautent progressivement, à la faveur d’une technologie qui gagne en maturité et d’un nouvel environnement spatial offrant plus de flexibilité.
Pourquoi les communications laser ne sont-elles pas encore devenues la norme pour les liaisons satellites-sol ?
Malgré la multiplication des missions évoquées précédemment et un potentiel quasi illimité en termes de débit et de capacité d’échange de données, les communications laser ne sont pas encore parvenues à s’imposer pour les liaisons satellites-sol. En pratique, les lasers sont cantonnés aux missions expérimentales alors que la radiofréquence reste largement utilisée pour les liaisons opérationnelles.
Comme c’est souvent le cas avec les nouvelles technologies, la percée des communications laser dans l’industrie spatiale dépend du rapport entre les besoins du marché et les risques de mise en œuvre pour les utilisateurs, qui sont de deux ordres : les risques technologiques, car il s’agit de parier sur un outil qui manque de maturité par rapport à la solution historique, et les risques financiers, liés à la mise en œuvre de la technologie et qui doivent être supportés par l’utilisateur.
Dans le cas des liaisons optiques satellites-sol, ce rapport penche en faveur de la percée de la technologie laser sur le marché. D’une part, les besoins en communications spatiales ne cessent d’augmenter, soutenus par le nouveau contexte du secteur spatial décrit dans le premier article de cette série. De plus, il est désormais établi que la radiofréquence ne pourra pas répondre à l’explosion des besoins, ce qui augmentera mécaniquement la demande du marché à l’égard des communications spatiales par laser.
D’autre part, les nombreuses expérimentations qui ont été menées (cet article n’en présente que quelques-unes) ont permis de réduire fortement les risques technologiques des communications par laser, promettant leur fiabilité à très court terme. Enfin, les risques intrinsèques, notamment la couverture nuageuse (les nuages bloquent en effet les transmissions laser), peuvent être facilement gérés en multipliant le nombre de stations sur une zone géographique.
Par exemple, un réseau de 10 à 12 stations interconnectées serait suffisant pour couvrir l’Europe et assurer des liaisons fiables depuis l’espace. Ainsi, la maîtrise des risques technologiques et la hausse de la demande sécurisent, dans une certaine mesure, l’investissement que demande la mise en œuvre d’un nouveau réseau de stations sols optiques. Selon le point de vue, ce risque financier peut être perçu comme une opportunité : le déploiement de l’infrastructure au sol offre en effet une belle carte à jouer pour les entreprises qui développent des produits et services sur ce marché.
Conclusion
Depuis 30 ans, les communications optiques satellites-sol n’ont cessé de se perfectionner sur le plan technologique. De nombreuses expérimentations, en plus de celles présentées dans cet article, ont démontré la faisabilité des communications optiques en espace libre ainsi que leur potentiel dans ce domaine.
L’évolution spectaculaire du marché, dans la dynamique du New Space, se manifeste aujourd’hui par un changement profond des besoins technologiques, qui portent désormais davantage sur les satellites en orbite basse et des charges utiles plus petites. Ce contexte favorise également l’expérimentation des communications laser, avec notamment un accès plus simple et plus abordable à l’espace, multipliant les missions tests et les partenariats public-privé.
Toutefois, les communications laser ne se sont pas encore imposées pour les liaisons satellites-sol. Mais la demande du marché devrait mécaniquement augmenter, non seulement en raison des difficultés de la radiofréquence à répondre à l’explosion des besoins futurs, mais aussi de par l’atténuation des risques de mise en œuvre. Ces deux facteurs devraient logiquement favoriser la percée de cette technologie sur le marché. Le segment des communications optiques offre indéniablement de belles opportunités en termes d’infrastructure au sol, avec un réseau qui devra intégralement être développé au cours des prochaines années.
Par Julien Bayol
Julien Bayol est ingénieur en mécanique INSA, et a suivi un Master en Management à la Toulouse Business School. Son domaine d’intérêt est porté sur les techniques de fabrication de pointe, via l’utilisation de solutions optiques innovantes. A Cailabs, Julien est assistant chef de produit, il contribue au développement et à la commercialisation des gammes produits CANUNDA et TILBA®.
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