Du chocolat brillant, de l’or noir, et autres bizarreries
Qu’ont en commun les ailes du papillon Morpho, les plumes de certains colibris, et les feuilles de lotus ? Des structures périodiques microscopiques leurs donnent des propriétés optiques, chimiques ou mécaniques particulières. C’est ce que l’on appelle la fonctionnalisation de surface, et c’est ce qu’ont appliqué des scientifiques pour donner de la couleur à du chocolat. Qu’est-il possible de faire d’autre ?
C’est l’histoire de trois scientifiques, un spécialiste de l’alimentaire (Patrick Rühs), un spécialiste des matériaux (Etienne Jeoffroy) et un physicien (Henning Galinski). Au détour d’un couloir de l’École polytechnique fédérale de Zurich où ils travaillent, ils se demandent en prenant un café : mais pourquoi donc le chocolat est-il marron ? Est-il possible d’en changer la couleur, sans y ajouter de colorants ?
Ce qui est au départ un simple sujet de discussion devient rapidement un défi pour les trois scientifiques qui en viennent à développer, avec l’aide d’Anita Zingg, étudiante en science des matériaux, un procédé permettant de conférer à la surface du chocolat la propriété de changer de couleur suivant l’angle auquel on l’observe.
Cette histoire me plaît particulièrement pour trois raisons : parce qu’elle témoigne de l’esprit de curiosité quasi enfantin qui peut animer certains scientifiques, parce qu’elle donne un bel exemple de coopération interdisciplinaire entre chercheurs, et parce qu’elle présente une application nouvelle de ce qu’on appelle la fonctionnalisation de surface.
La fonctionnalisation de surface
La fonctionnalisation de surface désigne le fait de conférer à la surface d’un matériau une texture particulière pour en optimiser les propriétés, voire même d’y ajouter de nouvelles propriétés. Les chercheurs mentionnés précédemment ont pu donner cette couleur au chocolat en y inscrivant à la surface, à l’aide d’un moule spécialement conçu, des structures périodiques microscopiques(1) telles que celles que l’on voit sur la figure 1. Ces structures permettent de diffracter la lumière, c’est-à-dire séparer les différentes couleurs du spectre lumineux, ce qui donne cet aspect iridescent (pour information, lorsqu’une couleur est causée uniquement par les structures présentes à la surface d’un matériau non coloré, on appelle cela une couleur structurelle, c’est ce qui donne notamment la couleur des ailes du papillon Morpho ou des plumes de certains oiseaux).
De la même manière, il est aussi possible de conférer à une surface des propriétés optiques, chimiques ou mécaniques particulières en y imprimant des structures périodiques. Par exemple :
- Absorption de la lumière : Il est possible de faire en sorte qu’un métal ou un semiconducteur, normalement réfléchissant, se mette à absorber la lumière en y inscrivant des structures périodiques telles que celles de la figure 1. Des chercheurs ont notamment réussi à faire en sorte que de l’or absorbe presque 100% de la lumière, créant ainsi littéralement de « l’or noir »(2). Cette propriété est intéressante pour des applications telles que la photo-détection ou le photovoltaïque.
- Super-hydrophobie : Il est possible de rendre une surface hydrophobe, c’est-à-dire qui empêche l’eau d’y adhérer, en y imprimant une texture proche de celle que l’on retrouve sur les feuilles de Lotus. Cela confère aussi à la surface la capacité d’être autonettoyante, car les gouttes d’eau coulant sur cette surface emportent la poussière et autres impuretés, ce qui peut être utile pour la conception de panneaux solaires autonettoyants(2).
- Super-hydrophilie : à l’inverse, il est possible de rendre une surface hydrophile, c’est-à-dire attirant l’eau. Des chercheurs ont ainsi pu créer une surface inclinée qui permet à une goutte d’eau de remonter la pente par effet de capillarité. Cette propriété trouve des applications intéressantes pour le domaine médical ou la micro fluidique(2).
- Biocompatibilité : La surface d’un alliage métallique ou d’un matériau céramique peut être altérée pour y favoriser l’adhésion de cellules biologiques et leur croissance. Cette technique est par exemple utilisée pour renforcer les implants dentaires(2).
- Aérodynamisme: en s’inspirant de la surface de la peau des requins Mako, il est possible d’améliorer la traînée et la portance des ailes d’avions, ce qui permettrait de réduire la consommation en kérosène des avions. Nous avions parlé de cet effet « peau de requin » dans un article précédent.
L’une des méthodes les plus utilisée pour produire une fonctionnalisation de surface est la génération de structures périodiques par irradiation laser, technique communément appelée « LIPSS ». Le principe est d’irradier une surface avec un laser à impulsion ultra-courte, généralement dans le domaine femtoseconde.
Suivant les paramètres lasers (durée d’impulsion, énergie du laser, longueur d’onde, polarisation…), il est possible de reconfigurer précisément la surface irradiée et ainsi obtenir une grande variété de fonctionnalisations de surface différentes(3). De plus, la texturation de surface par laser évite l’utilisation de procédés chimiques ou mécaniques généralement très polluants.
Pour démocratiser l’utilisation industrielle de la fonctionnalisation de surface, il est cependant impératif d’augmenter la vitesse d’usinage et ainsi baisser les coûts de production. Cailabs, leader de la mise en forme laser pour la télécommunication, la détection et l’usinage laser, a participé en 2019 à un projet avec le centre Alphanov pour accélérer les procédés de texturation de surface grâce au module de mise en forme CANUNDA-PULSE. Vous pouvez lire plus de détails sur ce projet ici.
Ecouter l’épisode :
Vous pouvez également regarder le replay en anglais de notre webinar « Micro-processing yield improvement with MPLC-based beam shaping » co-présenté avec Alphanov :
Sources :
(1) « Making chocolate colourful » par Michael Walther, ETH Zurich. Read the article
(2) »Direct femtosecond laser surface nano/microstructuring and its applications ». Read the article
(3) « Surface functionalization by laser-induced periodic surface structures ». Read the article
By Sami Laroui
Ingénieur diplômé en sciences des matériaux et titulaire d’un Master en innovation et entreprenariat, Sami Laroui a rejoint Cailabs en 2018. Il contribue, en tant qu’ingénieur avant-vente, au développement et à la commercialisation de solutions optiques innovantes optimisant la qualité et le rendement des procédés d’usinage laser.
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